Aujourd’hui, de nombreux parents burkinabè, influencés par les religions dites révélées, délaissent les prénoms ethniques locaux pour des prénoms arabes, bibliques ou à tendance occidentale sans pour autant savoir leur significations. Sur les actes de naissance, Pierre, Souleymane, Océane ou Fatimata ont pris la place de Tiraogo, Palamanga, Sanssan. Mais que perd-on quand on efface un prénom ancré dans la langue, la mémoire, la terre de ses ancêtres ? Que transmet-on à un enfant quand son nom vient d’ailleurs, sans lien direct avec son histoire? À travers ce micro-trottoir, Maatene tend le micro à celles et ceux qui, avec fierté, doute ou regret, racontent leur relation intime aux prénoms ethniques. Ils nous parlent d’identité, de racines, de spiritualité, de choix familiaux, et parfois même de destin brisé.

Palm N’Touramana, commerçante

« Les prénoms chez nous, c’est parfois pour insulter, pour dire du mal ou pour garder le souvenir d’une douleur. Moi, je pense que tous les prénoms ne sont pas bons à donner. Je m’appelle N’Touramana ce qui signifie: “je demande, mais on ne me donne pas, qu’est-ce qu’il me faut tenir pour que les gens aient pitié de moi. Je n’aime pas trop ces prénoms-là, parce qu’ils influencent vraiment la vie des gens. Par exemple, j’ai une nièce qu’on a appelée [Alan-hayé], ce qui signifie « ayez pitié d’elle ». Elle était en bonne santé et un jour, elle a glissé et elle est tombée. Depuis lors, elle est paralysée. Il y ‘a une autre nièce qu’on a appelée [Fantaya], ce qui veut dire “pauvreté en dioula. Et cette pauvreté ne l’a jamais quittée. Elle n’évolue pas. Elle est juste là… J’ai encore une autre sœur qu’on a appelée [N’kilandgé, n’Péloua]. Cela veut dire qu’« en tant qu’orphelin je vais parler à qui ? Est-ce que j’ouvre les tombes pour parler à mes parents?» Elle aussi n’a pas eu une bonne fin. Elle était d’abord voleuse, puis elle est devenue aveugle. Sa fin a été malheureuse… Tu vois ? Les prénoms ont un impact réel. Moi, je n’ai pas aimé ces prénoms ethniques. En tout cas, dans notre famille, on a vu que certains noms influencent réellement la destinée des enfants. Il ne faut pas donner n’importe quel prénom à son enfant.»

Cynthia Yasmine Wisgré Djibyando

« Moi je m’appelle Wisgré. Mon grand-père m’a donné ce prénom parce qu’il estimait que j’étais différente dès ma naissance. Il disait que rien qu’en m’entendant pleurer, on sentait déjà que j’allais être un enfant… vraiment spécial. Ce prénom signifie quelqu’un de très éveillé et très alerte en mooré. Et c’est vrai : je suis très vive, toujours en mouvement. J’ai le sang chaud, très chaud même ! Ce tempérament me vient peut-être de mon prénom. En tout cas, même si ce n’est pas inscrit sur mon acte de naissance, je suis fière de porter ce prénom. Je pense que lorsqu’un prénom est lié aux conditions de la naissance, c’est encore plus touchant, plus profond. Ça permet à chacun de se reconnecter à son histoire, de comprendre pourquoi ce prénom-là lui a été donné. Il y a des gens qui portent des prénoms ethniques, mais qui en ont honte et les cachent, parfois à cause de la religion. Moi, je suis catholique et chez nous les prénoms ethniques sont mal vus et on pense que ça va à l’encontre de la religion, c’est dommage! On peut suivre Dieu sans renier ses origines»

Ulda Barkwendé Ouédraogo, cliente de salon de Wissigré

« Pour moi ceux qui portent un prénom ethnique avec une histoire particulière doivent en être fiers. Il ne faut surtout pas en avoir honte. Oui, c’est important de suivre Dieu, mais cela ne veut pas dire qu’on doit renier ses origines. Il n’y a aucune honte à porter un prénom de chez soi. Que tu portes un prénom en mooré, en français ou dans une autre langue, ce n’est pas le problème. Ce qui est essentiel, c’est de connaître la signification du prénom. Par exemple mon prénom Moaga, c’est Barkwende. Je le trouve très beau : il signifie Dieu merci. Il y a aussi des gens qui portent des prénoms gourmantchés, lobis, bissa, mossi, etc. Ce n’est pas la langue le problème. Pour moi, ce qui compte, c’est que le prénom porte une signification positive, qu’il soit porteur de bénédictions, qu’il accompagne l’enfant dans sa vie.Il ne faut pas donner un prénom juste parce qu’il est à la mode ou pour faire comme les autres. Si un prénom a une mauvaise signification, il peut influencer négativement la vie de l’enfant. Il peut transmettre des habitudes indésirables ou freiner son épanouissement. Parfois, on se demande pourquoi un enfant agit d’une certaine manière… alors que le problème vient peut-être tout simplement du prénom qu’on lui a donné à sa naissance. »

Issaka Kaboré, citoyen

« Avec l’avènement des religions, beaucoup de gens ont commencé à oublier les prénoms ethniques. De plus en plus, on donne aux enfants des noms arabes ou européens. C’est devenu courant. Par exemple, on entend souvent des prénoms comme Océane. Mais si on donnait l’équivalent en mooré, qui est”Koom”  qui signifie aussi “eau” certaines personnes le trouveraient péjoratif, ou même ridicule. Pourtant c’est le même sens. Nous aussi, nous devons repenser nos prénoms, leur redonner de la valeur. C’est important pour notre culture et notre identité. Il est temps de prendre conscience de cela. Il faut que les gens reviennent à la source, qu’ils acceptent de donner à leurs enfants des prénoms d’origine locale, issus de nos langues, de nos histoires, de nos valeurs. Ce serait une belle manière de mettre en valeur notre culture, de se reconnecter avec nos racines et de retrouver notre identité. »

Assétou Sylviane Carine Ogazal Sanou

«Je m’appelle Sanou Assetou Sylviane Carine Ogazal. Je suis bôbô, mais Ogazal est un prénom gourounsi car je suis née dans la famille de ma mère, qui est gourounsi, et c’est mon grand-père maternel qui m’a donné ce prénom. Ogazal, signifie : “que tout le monde l’attrape”. Autrement dit, que partout où je vais, qu’on prend soin de moi et qu’on m’accueille bien. Et honnêtement, je constate que ce prénom m’accompagne, qu’il produit son effet dans ma vie. J’encourage vraiment les parents à donner à leurs enfants des prénoms ethniques, des prénoms issus de nos cultures. Pour moi, c’est une manière forte de préserver notre héritage, de transmettre notre identité, et surtout de ne pas perdre nos racines.»

Traoré Sié Souleymane, Apprenti menuisier

« Je m’appelle Traoré Sié Souleymane. Sié signifie le premier fils en boamou. Quand le premier enfant est un garçon, on lui donne ce prénom. Et si c’est une fille, on l’appelle Yié. Je trouve que c’est une belle tradition, et j’aime beaucoup mon prénom Sié. Plus tard, on m’a aussi donné Souleymane, un prénom musulman. Souvent, quand je prononce Sié, je remarque que les gens apprécient, surtout ceux qui n’ont pas de prénom local, et qui, au fond, auraient aimé en avoir. Certains parents n’aiment pas les prénoms ethniques, mais moi, je les apprécie beaucoup. Ce sont des prénoms porteurs de sens, de valeurs et d’histoire. Je connais des gens qui ont repris leurs extraits de naissance pour ajouter leur prénom ethnique»

Sawadogo Saïdou, Menuisier

« Moi, malheureusement, je n’ai pas eu ce type de prénom. Je croise souvent des gens qui portent ce qu’on appelle des prénoms botaniques  comme  Palingwendé, Wend-so. Ce sont des prénoms profonds, porteurs de sens, enracinés dans la culture. Moi, j’aime bien ces prénoms mais je n’en ai pas. Le prénom que je porte c’est Saidou, c’est le seul que j’ai . Mes enfants non plus n’ont pas de prénom ethnique, mais je compte me cultiver davantage sur le sujet, mieux comprendre ces prénoms, leurs origines, leurs significations. Et peut-être qu’avec le temps, je pourrai en ajouter à nos identités, à mes enfants et moi. Ce serait une manière de revenir à nos racines, à notre culture. »

Tondé Délwendé Marcelin

« En ce qui concerne les prénoms ethniques, je pense que c’est vraiment important. Moi-même, j’en porte un : Delwendé. Ce prénom signifie : je m’adosse à Dieu, je n’ai que Dieu. Et je le ressens profondément dans ma vie. Ce prénom me suit partout. Je suis croyant, je respecte les religions. Mais je pense qu’on confond souvent religion et culture. Par exemple, si quelqu’un donne un prénom comme Kougri, les gens trouvent ça étrange ou déplacé. Pourtant, on donne facilement des prénoms comme Pierre ou Olivier  et ces prénoms aussi viennent de réalités concrètes. En réalité, ce rejet de certains prénoms africains vient de la méconnaissance. Ce sont pourtant des prénoms purs, profonds, authentiques. Moi, je préfère qu’on m’appelle Delwendé. Quand on m’appelle ainsi, je me sens connecté à quelque chose de vrai, de spirituel, de culturel. Il y a même des gens, aujourd’hui, qui commencent à rejeter jusqu’à leurs noms de famille, au nom de la religion. Un jour, peut-être, on entendra dire que ces noms ne sont pas dans les livre saints et il faudra les abandonner… Il faut que les gens comprennent qu’on peut vivre sa foi sans renier sa culture. Il n’y a aucune contradiction entre pratiquer sa religion et valoriser ses origines. Même dans la Bible, il est dit que Jésus agissait selon ses coutumes et selon sa culture. Il n’y a pas d’opposition entre foi et tradition. Il faut simplement éviter les amalgames inutiles. On peut être un bon pratiquant tout en honorant ses racines. C’est en revenant à l’essentiel, en se reconnectant à ce que nous sommes, qu’on pourra avancer avec fierté et lucidité. »

Derrière chaque prénom, il y a une histoire, un message, un espoir  parfois même une blessure. Il ne s’agit pas d’opposer les cultures ou les croyances, mais de reconnaître que l’on peut croire en Dieu sans renier ses racines. Que l’on peut parler plusieurs langues, porter plusieurs noms à condition de savoir d’où l’on vient. Les prénoms ethnique ne sont pas des reliques du passé. Ils sont des boussoles, des repères, des témoignages vivants d’un monde qui ne demande qu’à être transmis. Alors, si ce micro-trottoir peut éveiller une prise de conscience, raviver une fierté, ou simplement faire réfléchir avant de nommer un enfant, alors il aura rempli son rôle.

Parce qu’un nom, ce n’est jamais rien, c’est le début d’une vie.

Propos recueillis par Diegu et Kisgou