Dans l’univers moaga, la faute n’est jamais anodine.

Briser un interdit, salir un lieu sacré, semer le désordre dans la famille ou la nature, c’est déchirer l’équilibre fragile qui relie les vivants aux invisibles. Et pour restaurer cet équilibre, il n’existe qu’une voie : le Yougbou — l’acte sacré de la confession.

Quand l’âme appelle à réparation

Sous le regard sévère des anciens et l’attention invisible des ancêtres, celui qui a fauté s’avance, porteur de sa honte et de son repentir.

Car dans la société moaga, commettre un interdit, c’est offenser deux mondes :

Le monde visible, celui des hommes, qui juge et sanctionne ;

Le monde invisible, celui des esprits, des forces naturelles, des aïeux, dont le courroux peut se révéler impitoyable.

On dit alors :

> “A zagl beegam, sãa n pa a yougu” — “Il a fauté, il doit se confesser.”

Sans confession, la faute devient un poison. Elle attire le malheur, la stérilité des champs, les maladies, parfois même la mort.

Le théâtre sacré de la réparation

Le jour du Yougbou, la place publique devient un tribunal silencieux.

Devant le Kiimse — l’autel des ancêtres dressé en terre battue — la scène se déroule avec une solennité bouleversante.

Un neveu, délégué par la famille, prend la parole, la voix grave et le regard baissé. Il égrène les mots anciens :

> “A zagl beegam, n wa n na n kos Ba-rãmba, pogd-rãmba, yaab-rãmb, l’a tē-peelem.”

(Tel a fauté. Il vient s’agenouiller devant ses pères, ses tantes et ses aïeux.)

Dans ses mains, des signes tangibles d’expiation :

Un poulet, messager entre le visible et l’invisible ;

Un ruminant (chèvre ou mouton), offrande majeure pour apaiser la colère ;

Du dolo, la bière des ancêtres, pour renouveler l’alliance rompue.

À travers ces gestes, le fautif avoue : il s’abandonne au jugement de ceux qu’on ne voit pas, mais dont la force gouverne la destinée.

La sentence du silence

À la fin de la cérémonie, plus un mot n’est prononcé. Car la décision ne vient pas des hommes, mais des puissances invisibles.

Si les ancêtres acceptent la réparation, les malheurs cessent, et la paix revient dans la famille.

Sinon, le fautif portera, toute sa vie, l’ombre d’une faute impardonnable.

Conclusion : Quand l’oubli menace l’équilibre

Aujourd’hui, le Yougbou vacille sous les vents de la modernité.

Mais la sagesse qu’il porte demeure universelle : reconnaître sa faute, s’agenouiller devant plus grand que soi, réparer avant de recommencer.

À l’heure où l’individualisme et l’oubli du sacré fragilisent nos sociétés, le Yougbou rappelle qu’aucun être humain ne vit seul :

Chaque geste, chaque parole engage non seulement notre vie, mais aussi celles de ceux qui nous précèdent, nous entourent et nous suivront.

Confesser, réparer, honorer : trois gestes ancestraux, trois piliers d’une paix véritable, que le monde moderne gagnerait à réapprendre.