Le feu crépite, la foule retient son souffle. Au cœur du cercle, KPG (KIENTEGA Pingdéwindé Gérard), Conteur et chef forgeron de Ramessoun, s’avance puis marche sur le feu incandescent, sans se brûler. Forgeron de lignée, KPG marche sur le feu pour montrer que le feu et lui sont des amis, des frères. Dans sa tradition, le feu est un allié, un passage entre le monde des vivants et celui des ancêtres. C’est un feu qui soigne, qui rassemble et qui enseigne. Chaque pas sur le feu est un rituel, porteur de mémoire, de guérison et d’équilibre. A travers cette démonstration, il transmet également le message que ses ancêtres ont été les premiers à dompter le feu et met en exergue le rôle non moins important qu’ils ont joué dans l’épanouissement de l’humanité en réussissant à amener le feu dans cette humanité. Ils ont été les piliers de l’épanouissement de l’humanité. « Ce que nous faisons aujourd’hui, ce n’est pas du folklore. C’est un rituel, qui nous reconnecte à notre feu intérieur, au feu divin », a-t-il laisser entendre. C’est un moment de communion pendant lequel les communautés se réunissent pour écouter et partager.

Un rituel au nom des ancêtres

Avant toute prestation, il demande toujours l’autorisation aux ancêtres pour monter sur scène. Chaque démonstration faite, est un hommage rendu aux ancêtres, à toutes les personnes qui croient à aux ancêtres et à toutes les personnes qui travaillent pour permettre à la culture de perdurer. « Quand je marche sur le feu, ce n’est pas un acte personnel. Je le fais au nom des ancêtres, au nom de tous les ancêtres méritants », confie KPG.

Une initiation basée sur l’écoute et l’observation

Au Burkina Faso, comme dans de nombreuses sociétés africaines, on ne devient pas forgeron, on naît forgeron. C’est une fonction transmise par le sang, une identité héritée, et non acquise. Il illustre ce fait à travers cet adage : « une panthère met bas une panthère, elle ne peut mettre bas une hyène ». 

L’apprentissage du métier de forgeron se fait suivant des rites initiatiques secrets, réservés aux seuls membres de la lignée. Il repose sur deux principes fondamentaux : l’écoute et l’observation. Ce sont les deux premiers piliers enseignés dans ce qu’il nomme « l’école initiatique de l’atelier de l’Inamovible et de l’Enclume ». Avant même de toucher au fer, il faut savoir regarder, comprendre, ressentir. C’est par cette posture que se transmettent les savoirs anciens.

Le forgeron, le médiateur ultime dans nos sociétés

Dans les sociétés traditionnelles africaines, et plus particulièrement au Burkina Faso, le forgeron est bien plus qu’un artisan du fer. Il est une figure centrale, à la fois créateur, détenteur de savoirs spirituels et médiateur. Il est perçu comme un médiateur ultime, capable de rétablir l’harmonie par sa sagesse et sa position neutre. En effet, lorsqu’un conflit menace l’équilibre social et que toutes les voies de recours ont échoué, c’est vers lui que l’on se tourne « Le forgeron, c’est le dernier recours », rappelle KPG.

La forge, une force invisible dans la lutte nationale

Dans la crise actuelle que traverse le Burkina Fasooù les armes et les stratégies militaires semblent les seuls à peser dans la balance, KPG rappelle que la lutte nationale ne se joue pas seulement sur le terrain militaire. Le forgeron et la forge occupent une place discrète mais non négligeable. Pour KPG, la forge est bien plus qu’un simple art : c’est une puissance spirituelle à l’œuvre, silencieuse mais constante. « Quand on regarde bien, beaucoup de militaires portent des bagues, des bracelets… Ça prouve qu’il y a toujours une fonction de la forge qui est là », observe-t-il.  La forge, nourrie par la bénédiction des ancêtres, est un rempart spirituel dans cette guerre. « Les outils que portent les militaires sont ceux de la forge, et ils sont porteurs de bénédictions. Ce sont les chefs forgerons, les ancêtres et les esprits liés à la forge qui accompagnent nos combattants » conclut-il. Le forgeron, gardien d’un savoir séculaire, façonne non seulement le fer, mais aussi la protection invisible qui accompagne les combattants. 

Face à l’épreuve de la modernité, qui relègue trop souvent aux oubliettes le patrimoine culturel immatériel, KPG plaide pour un retour aux sources. Pour ce faire, il fait son cheval de bataille la transmission du savoir au plus jeunes. En effet, selon luiil est essentiel que les jeunes sachent ce qu’est un forgeron, son rôle, sa place, son essence dans nos sociétés. Il lance donc un appel : « Ceux qui veulent renouer avec leurs racines, nous les attendons. Nous sommes en train de négocier avec l’État pour ouvrir des espaces de transmission, afin que nos jeunes ne s’éloignent pas de leur culture, ne se perdent pas, mais soient fiers d’être Burkinabè. Parce que c’est important », insiste KPG. Préserver la tradition n’est pas tourner le dos à la modernité, mais y entrer avec une conscience enracinée, nourrie d’histoire, de valeurs et de dignité.

Youmanli Doumi/Stagiaire